L'écriture praticienne


Je ne sais si je suis le premier à avoir employé l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous cas, elle est aujourd'hui, plus de quinze ans après la parution de ma Note, assez répandue dans le secteur de la formation permanente.
Dans mon esprit (à l'époque mais encore aujourd'hui), cette expression renvoyait à trois configurations différentes et complémentaires entre elles au sens où elle font système :

Il est clair qu'aujourd'hui, ces trois configurations fonctionnent à plein régime. Et que l'écriture praticienne, l'authentique, est plutôt au ralenti... Même dans les idées ! Le durcissement des relations de travail ainsi que l'intensification et la précarisation du travail lui-même - tout cela allant ensemble et étant essentiellement produit par les effets dévastateurs du vent néo-ultra-libéral qui souffle sur le secteur de la formation permanente (y compris dans l'enseignement public) -, assèchent remarquablement les marges où l'authentique écriture praticienne pourrait fonctionner et produire ce savoir non savant et peut-être dérangeant produit par les acteurs eux-mêmes.
L'espace de ces marges a un nom : "liberté solidaire".
Mais peut-être sommes-nous déjà là dans le royaume de l'utopie ?




Je ne sais si je suis le premier à avoir employé l'expression "écriture praticienne". Peu importe. En tous cas, Frédéric Haeuw, qui fut mon collègue puis travailla au sein d'Algora, aimait bien à reprendre la problématique de l'écriture praticienne dans les termes où je l'avais esquissée dès 1994, allant jusqu'à la compléter de quelques suites de pistes vers la problématique de l'autoformation. Témoin son billet de janvier 2006, "L'écriture praticienne au service de la professionnalisation des acteurs de la formation". Témoin encore Les tribulations de Gianni en APP que je présentais ainsi, en février 2004, pour mes collègues du CUEEP lorsque le petit ouvrage fut publié :

J'ai reçu la semaine dernière un petit mot de Frédéric Hauew - qui disait ceci : "en souvenir de nos passionnants échanges sur le concept d'écriture praticienne, je suis heureux de te faire parvenir un exemplaire de l'ouvrage  Les tribulations de Gianni en APP, produit d'un stage d'écriture praticienne que j'ai animé en 2003. J'ai redécouvert avec plaisir les joies de l'écriture partagée et je pense ne pas avoir trahi le concept"...
J'ai lu le document le week-end suivant et vous en rend compte aujourd'hui. Vous trouverez une présentation institutionnelle de l'ouvrage en allant vous promener sur le site du réseau des APP. Pour ma part, je retiens l'heureux retour de Gianni et la poursuite de la réflexion sur l'écriture praticienne.
Le retour de Gianni
Dans la première partie de L'École, mode d'emploi, Des "méthodes actives" à la pédagogie différenciée  (Paris, E.S.F., 1985), Philippe Meirieu nous fait assister aux "tribulations" de Gianni, renvoyé de l'école et suivant un sinueux itinéraire qui le fait passer de chez Freinet en classe de transition, puis chez les piagétiens, avant de se retrouver parmi les "libres enfants de Summerhill", puis chez Carl Rogers... pour être ensuite observé par les sociologues et les psychologues... avant d’être finalement invité à siéger à une prestigieuse commission nationale sur l'éducation... Philippe Meirieu donne non sans humour la parole aux grands-prêtres des principaux courants de recherche et de réforme des dernières décennies.
Gianni, Meirieu l'avait rencontré en Italie dans les années 60/70. En fait, Gianni, c'est l'un des enfants de Barbania, ceux dont Philippe Perrenoud (1995) dit qu'ils nous ont ouvert les yeux... et les enfants de Barbania, ce sont les auteurs de l'ouvrage collectif coordonné par Don Lorenzo MILANI (un singulier maître d'école, 1923-1967), Lettre à une maîtresse d'école [Lettera a una professoressa], traduit de l'italien par Michel Thurlotte (Paris, Mercure de France, 1968, pour la traduction française - la première édition italienne originale datant de 1963). Bref, Gianni, c'est un adolescent de 14 ans, distrait, allergique à la lecture... et dont les professeurs "avaient décidé que c'était un voyou"...
L'écriture praticienne
1985 : Philippe Meirieu fait de lui son prophète itinérant - celui qui témoigne et parle pour lui, circulant dans le monde éducatif... 2003 : l'adolescent a grandi et fréquente les APP de Haute-Normandie... 
L'atelier d'écriture praticienne a travaillé ici avec une des méthodes courantes des ateliers d'écriture : une situation littéraire sert de point de départ à une invention d'écriture collective. Et cet ancrage à la Meirieu - ce dernier, d'ailleurs, préface l'ouvrage - est très productif : l'écriture est authentiquement praticienne en ce sens que, non validée par d'universitaires honneurs, elle n'en produit pas moins un regard qui en apprend sur les pratiques éducatives, jusqu'à laisser voir, comme dit le préfacier, "les fondamentaux de toute éducation et de tout apprentrissage". "Gianni est là et il nous dit ce qu'est apprendre, ce qu'est grandir, ce qu'est retrouver sa dignité. Il faut le suivre, le regarder faire, l'écouter. Il a infiniment plus à nous apprendre que bien des traités savants", confie-t-il encore.

En fin d'ouvrage Frédéric revient sur la question de l'écriture praticienne. Reprenant la discussion grosso modo là où nous l'avions laissée (cf. le Cahier d'études du CUEEP  n°27, de 1994, coordonné par Gilles Leclercq), il se livre à un exercice d'écriture praticienne à propos de l'accompagnement de... l'écriture praticienne.

Mais il n'y a pas que Frédéric ! Mes petits copains des Sciences de l'éducation du CUEEP ont mis en place, disent-ils eux-mêmes, un « Institut universitaire professionnalisé (IUP) intitulé "des métiers de la formation", fondé sur l'alternance et l'écriture praticienne ». Du moins est-ce ainsi que Dominique Delache présentait les choses à la cinquième biennale de l'éducation (INRP)...
Mais c'est aussi de cette écriture praticienne que se recommandent bon nombre de formateurs en IUFM, faisant des mémoires d'étudiants sur leurs pratiques de stage un produit de l'écriture praticienne, ainsi le pôle sud-est des IUFM (avec les interrogations d'Alain André, p.19).
Je crois que tout ce beau monde confond écriture (universitaire) sur la pratique et "écriture praticienne"...
Il ne manquerait plus que l'un de nous, que l'un des salariés de l'Université se mette à produire de l'écriture sur ses pratiques professionnelles, mais sans la soumettre aux fourches caudines des enseignants-chercheurs, sans en attendre une quelconque validation ou reconnaissance universitaire que ce soit ! On aura alors une écriture praticienne universitaire authentique.

Si vous êtes arrivé sur cette page directement, sans passer par la case "Tard-Bourrichon", il vous suffit de ... vous y rendre.

© Bruno Richardot, octobre 2006
mise à jour août 2010